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"La différence entre l'érotisme et la pornographie c'est la lumière". Bruce LaBruce
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mercredi 10 janvier 2018



120 BATTEMENTS PAR MINUTE










Préparez vos mouchoirs,


J’ai vu 120 battements par minute. Le film relate l’histoire de militants d’Act Up Paris, fondé en 1989, selon le modèle américain né 2 ans plus tôt. L’action se situe dans les premières années du mouvement et peu avant l’apparition des trithérapies. On y suit l’histoire de Nathan (Arnaud Valois), jeune homosexuel séronégatif et de Sean (Nahuel Perez Biscayart), jeune séropositif, dont la sentence mortelle de la maladie pousse la radicalité militante. Le film nous propulse dans leur action contre les laboratoires, le gouvernement et tous ceux qui ferment les yeux sur l’urgence de la lutte contre l’épidémie. Les Zaps, occupations, Dye-in et autres encapotages d’obélisque rythment la vie de ceux qui voient tomber un à un leurs coreligionnaires. 






Deux mots semblent porter les protagonistes, colère et amour. Colère de se sentir invisible, condamné et sans espoir. Et amour, car l’urgence de la vie à vivre fait naître les passions. L’amour de Sean et Nathan est beau, fort et désespéré jusqu’au geste ultime de Nathan. Le film est triste mais pas pathos. Peut-être parce qu’on en connait de toute façon la fin inéluctable. Fin qui nous fait rager, car il s’en est fallu que de quelques mois, avec la sortie de la première trithérapie en 1996, pour qu’elle soit tout autre. Juste quelques mois. Combien n’ont pu atteindre de quelques mois, quelques semaines, quelques jours, la frontière entre la mort et la survie qu'un médicament miraculeux rendait soudainement franchissable. On a d’ailleurs appelé « médicaments de Lazare » la première trithérapie efficace tant elle arrachait in extremis à la mort ceux qui étaient en passe de succomber.






Le film de Robin Campillo fait la part belle aux réunions d’Act Up dans un amphithéâtre. L’ambiance est foutraque, pleine de l'énergie de la jeunesse, mais incroyablement maîtrisée. Ces jeunes gens, parfois très jeunes, ont réussi à se fédérer, unir leurs forces, leur énergie, instaurer des règles de fonctionnement admirables. Admirables et drôles, comme le claquement de doigts qui remplace les applaudissements. Le groupe s’organise en différents comités, dédiés aux prostitués, aux prisons, aux toxicomanes et même aux connaissances scientifiques parfois très poussées sur les mécanismes de réplication virale et les avancées des recherches. Ces malades savaient qu’ils allaient mourir et semblaient tout vouloir savoir sur ce qui allait les tuer. Des personnes en danger imminent de mort ont trouvé la force, malgré ceux qui tombaient au champ d’honneur, de lutter contre les pouvoirs publics qui, on le sait maintenant, ont été totalement en dessous de la réponse qu’on était en droit d’attendre de leur part face à cette maladie qui fauchait sa jeunesse.









Ces enfants qui mourraient n’avaient d’autre moyen que de répandre du faux sang dans les locaux des laboratoires pour qu’on les écoute et qu’on les entende. Même des homos étaient choqués de leur campagne d’affichage pour la prévention et fuyaient effrayés. Tout comme ces propriétaires d’établissement dont le chiffre d’affaire s’effondrait et qui voyaient d’un mauvais œil toute allusion à ce virus qui décimait leur clientèle. On se rappelle des propos de David Girard, le roi de la nuit gay parisienne de cette époque, sur le plateau d’Apostrophe qui, devant Bernard Pivot minimisait d’une façon outrageuse ce qui était en train de se passer.






David Girard Apostrophes 1986


Dans 120 battements par minute, malgré tout, l’humour est là, présent partout, même dans les pires moments, un humour qui réconforte, qui protège et qui fait que l’on est toujours vivant, un humour qui conjure la mort que l’on sent venir, un humour fait dans l’urgence, car il faut vivre. Il faut vivre cette vie qui va s’arrêter si brusquement. Essayer, malgré le temps qui court, d’en faire une totalité de vie.





Comme ils ont dû avoir peur ces jeunes gens. Se voyant tomber les uns les autres. Observant la courbe de leurs T4 qui chute inéluctablement. Remarquant sur leur peau une tache noire qui s’étend, le sarcome de Kaposi, quel affreux nom, qui signait l’entrée dans la maladie. Entendant les médecins leur dire qu’on ne pouvait rien pour eux, ou si peu, et qu’il n’existait pas de médicament. Voyant l’ami qui part et se demandant si on sera le prochain sur la liste.






Alors il y a l’amour, l’humour, le sexe et la danse, techno à cette époque, à 120 battements par minute, qui libère, épuise et empêche de penser.






Les anciens membres d’Act Up toujours vivants doivent tout de même bien sourire de voir que leur mouvement a d’une certaine façon été primé à Cannes et le sera peut-être aux Oscar, eux qui, jugés trop radicaux, y compris par d’autres associations, ont été les parias de la lutte contre le SIDA. Je me souviens avec délice de l’encapotage de l’obélisque de la concorde en 1993. Les regards courroucés, les réflexions hostiles, les cris d’orfraie alors que devant eux, Act Up lançait avec désespoir le message de santé publique le plus important des années 80 et 90.

En tout cas, le film est beau, très beau, et, je vous aurai prévenus, préparez vos mouchoirs.












Le virus du Sida (en jaune) peut infecter les cellules du système immunitaire grâce à leur récepteur CD4. Microscopie électronique à balayage (MEB).



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